Balnéaires
Frédéric Cornu
Du 16 avril au 12 juin 2016
WE: 10H-12H & 14H-18H – FERMÉ MARDI
Le corps nu, le corps particulier, loins des canons esthétiques de la mode, nous montrent avec leurs stigmates les traces de la vie.
Régulièrement je reviens sur cette plage de Bray-Dunes faire quelques nouveaux clichés, toujours identiques, toujours intemporels, mais toujours aussi singuliers…
Les corps Glorieux
« La gloire du corps est-elle un présent sans mémoire? »
L’art photographique agit sur nous tel un paradoxe. Les images qu’il dispose sous nos yeux nous font d’abord l’effet de secondes choses. Nous nous prêtons d’ailleurs au jeu : qui n’a jamais cherché à retrouver sous ces fantômes de papier l’évidence d’une vision familière? Pourtant, on a beau faire, ce qu’on espère n’advient jamais. Chaque fois l’image offerte se montre imprévisible, chaque fois elle infirme notre vue, la contredit sans prévention. L’art apparaît dans ces écarts : des simulacres et des miroirs, il ne possède au vrai que le geste lointain ; pour l’essentiel, égal en cela au paradoxe, il invente les images qui portent la promesse de nous défaire de toutes les autres…
Ainsi les corps photographiés de Frédéric Cornu : ceux-là reviennent de loin. Ils ont failli être perdus, flanqués au tombeau de l’inutile, et avec eux les corps véraces, prodigues en chair, féconds d’esprit de tous les hommes vivants. Ce sont des rescapés. Autrement dit des corps que nous n’attendions plus.
Reprenons-en l’histoire
Notre modernité s’est employée méthodiquement à mettre en pièces le corps humain. Elle a jugé qu’il n’était que morceau du visible – à l’instar de toute chose : plaine, coquillage, galet… – ; elle n’a eu cesse de le jeter en pleine lumière qu’elle ne l’ait montré « nu » (corps détouré, disjoint du monde des hommes, en défaut d’âme) ; et ce faisant, elle a voilé ce qu’elle vouait au dévoilement, enlaidi la beauté, forclos ce qui était en vie : portraits, profils, postures, au service de la mode, d’une pullulante publicité et d’une pornographie quasi savante ; présences obscènes si ordinaires, en notre intimité et dans l’espace public, que la figure du corps est devenue « quelconque » – dans un luxe d’images où rien n’est plus visible sinon le spectacle du rien à moins que l’art ne déjoue le spectacle.
Ainsi chez Frédéric Cornu il y a cette force résolue qui veut maintenir les corps entiers : non plus quelconques mais pleinement singuliers ; non plus instrumentalisés mais rendus à eux-mêmes ; non plus « monnaie vivante » pour nos appétits tristes, mais corps compacts d’humanité dont le dehors, souvent ingrat, nous renvoie nos regards impudiques. C’est puissance de ces corps que de mettre en désordre notre manière de voir. Leurs lignes sont disgracieuses, murmurera-t-on ; leur beauté, si elle fut, est fanée de longtemps ; mais c’est preuve que ces corps nous émeuvent, qu’ils ne sont pas une forme désertée. Leur plénitude est justement d’être prodigues en défauts et entailles. Cornu nous remémore ainsi qu’au lieu des statues impeccables, des corps en général (canoniques et subtils), le corps particulier n’est jamais un chef-d’œuvre.
…En leurs chairs éprouvées, ces corps révèlent alors l’histoire de leur seule subsistance. Ce qu’effacent à jamais les créatures sans qualités, sans accidents, technicisées par l’artifice du maquillage et de la prise de vue, imperméables aux heurts, au vent qui souffle dans les dunes, aux peines si quotidiennes – des images de la mode. Celles-là ne laissent rien apercevoir, tout juste une fable de la nature. Comme si la chair n’avait jamais été vivante. Dans cet écart se fait entendre justement la voix de Frédéric Cornu : le corps humain, où qu’il se montre (sur cette plage, en l’ombre d’une cour, recueilli en prière), n’existe pas comme lambeau de matière éclairé du dehors : il est ce bloc d’histoire qu’illumine le dedans.
Ainsi, hommes et femmes de Bray-Dunes ne font jamais que s’exposer à ce qu’ils sont. Cornu les a surpris sans fards, ou presque ; et si plusieurs, sur telle ou telle épreuve, semblent prendre la pose, c’est pour mieux prévenir l’œil qui les éternise, préserver un secret qui est leur majesté, secret qu’on ne veut pas savoir. Là aussi est leur grâce, dans ce souci de retenir ce qui n’est déjà plus.
Alors dans les plis et faiblesses qu’ils laissent voir ou veulent taire, affleure cette vérité que Frédéric Cornu a recueillie avec humilité : l’évidence claire de notre sort. D’une image l’autre il en célèbre la gloire et la misère, nous offrant en retour la substance d’un bonheur douloureux.
Texte d’après Thierry Hesse, écrivain français
Biographie
Né en 1959, Frédéric Cornu vit et travaille à Lille. Il participe à plusieurs bourses de création et réalise de nombreuses expositions personnelles et collectives.
Extraits:
« Portraits », Médiathèque, Rosult (2014)
« Face à Face », Galerie Tout Azimut, Mortagne du Nord (2013)
« Chroniques Partagées », Musée Eugène Aulnette, Le Sel-de-Bretagne (2012)
« Des Clics et des Classes », Galerie Arc en Ciel, Lièvin (2012)
« Histoire de la Photographie », Musée de la Capitale, Pékin, Chine (2007)
« La nuit de l’Image », Musée Nicéphore Niepce, Châlon-sur-Saône (2004)
partenaires
Ministère de la Culture et de la Communication, Région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine, Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, Château des Lumières